Interview with Stéphanie Macaigne (French Version)


Travis Scott, acrylique sur toile par Stéphanie Macaigne

"C'est mon parcours chaotique qui a créé le lien entre la peinture et la musique"

Le 1er novembre 2018, Stéphanie Macaigne publie sur Instagram la couverture de l'album NAKAMURA d'Aya Nakamura reproduite en peinture. Depuis, Stephanie a continuée à peindre principalement des pochettes d'albums de rap (mais pas seulement). Jacques Jacques Magazine s'est entretenu avec l'artiste dans une interview pour parler de son histoire, de ses inspirations, de ses goûts musicaux, de l'art et aussi des artistes à suivre cette année.


NAKAMURA - Aya Nakamura © Stéphanie Macaigne

Jacques Jacques Magazine: Tu peins depuis quel âge, est ce que tu as toujours peint des album covers ? 
Stéphanie Macaigne: Je dessine depuis que je suis petite. J’ai fait une école de dessin en parallèle avec le collège et j’y ai appris les « bases » et les techniques classiques (s/o l’École Quentin de la Tour de St Quentin (02), on travaillait le fusain, l’aquarelle, la gouache, la peinture acrylique, et même la sculpture. J’y suis allée deux ou trois ans avant d’entrer au lycée, et j’ai recommencé, après une longue pause, à peindre presque chaque jour. Depuis cinq ans maintenant je dirais. Je n’ai pas toujours peint des covers d’album; il y a cinq ans encore j’habitais à Istanbul et c’était un autre contexte, un autre monde pour moi; en fait à l’époque… (hésitations)... comme je peins ce qui m’inspire, à Istanbul je peignais essentiellement la ville et ses habitants, le chaos urbain et la beauté qui naît paradoxalement de ce chaos. 

Lier la peinture au Rap c’était évident ? 
S.M: J’étais à un moment de ma vie ou je venais d’emménager à Paris, et je vivais une rupture totale dans mes sources d’inspirations, je me suis un peu retrouvée orpheline. Je peignais les gens et la ville d’Istanbul, et quand je suis arrivée à Paris, tout cet univers auquel je m’étais habituée avait disparu autour de moi, et petit à petit je me suis renfermée en moi-même, et en moi-même, il y avait de la musique. Et puis, comme mes sujets en peinture sont des choses qui m’inspirent dans la vie, et que ces choses sont conditionnées en partie par mon environnement et par mon histoire personnelle, alors, la peinture et le rap se sont croisés. C’est mon parcours un peu chaotique qui a créé ce lien entre peinture et musique. 

Plus Rap FR ou Rap US ?
S.M: Disons que j’écoute avec plus de facilité le Rap français. Il y a une époque où j’écoutais 100% de Rap FR parce que j’ai mis du temps à aimer l’anglais. Et quand tu ne maitrises pas les subtilités d’une langue, tu as du mal à saisir toute les subtilités d’un univers musical. Mais depuis pas mal de temps j’ai dépassé ça (et je me suis aussi bien améliorée en anglais) et je pense que j’écoute maintenant aussi bien du rap FR que du rap US. Quasiment. Ça doit être du 60% versus 40% en faveur du rap français. Pour le coup, je pense que le rap FR n’a rien à envier au rap américain aujourd’hui, et toute la diversité du rap actuel se retrouve maintenant aussi bien dans le rap français que dans le rap US.
  
Pochettes américaines ou pochettes françaises ?
S.M: Je ne sais pas si c’est pertinent de faire cette distinction en fait. En tout cas je n’ai pas à me plaindre, je suis très contente avec le game francophone. Il y a des photographes / graphistes qui font un travail incroyable, Romain Garcin en Belgique ; FifouKoriaDavid Delaplace en France. Raegular aussi, ses visuels pour UMLA, j’ai pris une claque visuelle. Dans tous les cas je pense que personne ne peut dire que la France a un quelconque retard sur les US en matière de pochette. 

Est-ce que c’est la musique d’un album qui te donne envie de peindre sa pochette ou c’est la pochette d’un album qui te donne envie de la reproduire ?
S.M: Je peins des albums que j’écoute, ça ne m’est jamais arrivée de peindre la pochette d’un album que j’aurais vaguement aimé ou pas aimé du tout. Lorsque je peins une pochette j’écoute l’album en même temps. J’essaye de m’enfermer dans une bulle, et, ce que la musique me fait ressentir, j’essaye de le faire ressentir à travers ma peinture. C’est une sorte d’expérience. J’essaye de capter et de rendre une énergie et des sentiments. Reproduire un visuel pour reproduire un visuel n’est pas ce que je recherche quand je peins, j’essaye plutôt de retranscrire quelque chose d’invisible (l’énergie ou le rythme de la musique) avec des moyens visibles, en faisant appel à un visuel qui tout de suite trouvera écho dans l’esprit des gens qui connaissent ces pochettes. 

Parmi les covers que tu as réalisées, il y en a-t-il que tu préfères ?
S.M: Dure question, mais s’il faut vraiment répondre je dirais - entre autres - Blond de Frank Ocean et To Pimp a Butterfly de Kendrick Lamar (incroyables albums !)

Blond - Frank Ocean © Stéphanie Macaigne


To Pimp a Butterfly - Kendrick Lamar © Stéphanie Macaigne

Est-ce que ce sont les albums que tu préfères d’un point de vue musical qui sont tes pochettes préférées ?
S.M : Oui, c’est ça. Comme je le disais, je ne pense pas que parmi les peintures que j’ai eu le plus de plaisir à réaliser, il y ait un album que j’aime moyennement. Après, il y a des pochettes qui sont à mes yeux de pures œuvres d’art, et forcément ça rentre aussi en compte; je ne peins pas non plus les yeux fermés quand j’écoute la musique d’un album. 

Aujourd’hui tu fais essentiellement de la reproduction en peinture ? Tu as déjà peint pour un artiste ? 
S.M : Non pas du tout ! Déjà, je ne partage pas tout ce que je peins. Et puis régulièrement je partage quand même des peintures qui n’appartiennent pas à la série des pochettes. 
D’autre part j’ai déjà co-réalisée une pochette pour la mixtape de Wondagurl, Toronto / Paris, à l’occasion du RedBull Music Festival 2019. Une expérience géniale, un très bon souvenir !
Chaque week-end j’organise aussi des petits chats via Instagram où mes abonnés peuvent interagir. Un week-end, j’avais demandé aux gens de me parler d’un album qu’ils aimaient beaucoup, d’essayer « d’oublier » le temps de l’exercice quelle était la pochette d’origine de l’album choisi, et de me décrire ce qu’ils imaginaient comme pochette quand ils écoutaient cet album afin que je puisse le peindre. Au final c’est une œuvre collaborative, c’est un mix entre mon imagination et l’imagination de l’autre. Entre ce qu’il a imaginé en écoutant la musique et ce que moi j’imagine qu’il a imaginé en écoutant la musique. C’est une vraie expérience. 


Toronto / Paris - Wondagurl © Stéphanie Macaigne x Convoy


Le tableau né du chat via Instagram, réalisé avec Raphaël Meneghini © Stéphanie Macaigne

Après avoir postée sur Instagram la reproduction en peinture de la couverture de l'album Astroworld de Travis Scott, David LaChapelle, qui a réalisé l'original, a réagi ! Que s'est-il passé en DM avec lui ?
S.M : Le principe du DM c’est que c’est privé (rires) mais c’est un honneur pour moi que mon travail ait attiré son attention. Je reste discrète concernant tout ce qui n’est pas mon feed ou mes stories Instagram, c’est normal ! 


Astroworld - Travis Scott © Stéphanie Macaigne



Tu as exposé en Juin 2019 au District B à Paris, est ce que tu es en train de travailler à une future exposition ?  
S.M : Oui, c’est en cours, je suis en train de travailler la narration du projet. C’est un projet qui me tient beaucoup à cœur et je ne pense pas que ce sera une exposition de peinture « classique ». Ce que je peux affirmer c’est qu’il y aura forcément des croisements entre différents univers. J’aimerais aussi exposer un jour à Bruxelles par exemple, c’est quelque chose que j’aimerais vraiment faire.

Tu as des comptes Instagram à nous suggérer ? 
S.M : Oui, il y a plein de gens talentueux sur Instagram. Je pense à James Zucco, ce qu’il fait est assez symbolique, ça raconte une ambiance, un mood. Ça ferait des memes parfaits d’ailleurs. Il y a aussi Mr Flower Fantastic, il fait des paires de baskets avec des fleurs et c’est super cool. Je pense aussi à Shaina McCoy, j’aime beaucoup ce qu’elle fait, et surtout les couleurs pastels qu’elle utilise. Shaina peint de très grandes toiles et d’une manière elle me fait rêver, parce que moi je travaille dans mon petit studio parisien, avec mes petites couleurs, et c’est un rêve pour moi d’avoir de la place pour peindre des toiles de cinq mètres avec de gros amas de peinture. Et puis, je pourrais citer aussi Eser Gündüz, c’est un artiste turc. C’est une grande source d’inspiration pour moi, même si nos deux styles sont très différents. Je vous invite à aller découvrir ces artistes. 

Si tu étais un album ?
S.M : Ouaaah...dure question encore ! J’aimerais être un album de Frank Ocean évidemment, qui n’en rêverait pas ? Ou, un album de Dinos, oui !  Je serais fière d’être un album de Dinos. Un album de Dinos c’est comme un long poème; pour moi, il est le porte-parole de quelque chose qui le dépasse, et qui dépasse le temps historique pour s’élever vers l’universel de la poésie justement. Et puis, quand tu l’écoutes parler de ses références musicales, tu te rends compte qu’il connait tout, et au lieu de s’adresser à une fraction très réduite d’auditeurs, il fait le choix (conscient ou inconscient) de s’adresser à tous, il y a tous les niveaux de lecture, il fait références à tellement de domaines et d’époques dans ses sons, mais toujours pour dire quelque chose sur lui-même, et sur nous par la même occasion. Bref, je ne saurais pas dire en quoi je serais cet album, en plus ça serait prétentieux après tant de compliments, mais je pense qu’on ne peut vouloir être qu’un album parfait à notre goût, et pour moi Imany ou Taciturne ce sont des albums parfaits.

Taciturne - Dinos © Stéphanie Macaigne

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Portrait de Stephanie Macaigne - Le Marais, Paris. © David Jacques Calvo

Queen - Nicki Minaj © Stéphanie Macaigne

Not All Heroes Wear Capes - Metro Boomin © Stéphanie Macaigne

Take Care - Drake © Stéphanie Macaigne

Testing - A$AP Rocky © Stéphanie Macaigne

The College Dropout - Kanye West © Stéphanie Macaigne

Drip Harder - Lil Baby & Gunna © Stéphanie Macaigne

Antidote - Shay © Stéphanie Macaigne

Kamikaze - Eminem © Stéphanie Macaigne

Chaleur Humaine - Christine and The Queens © Stéphanie Macaigne

Paradise - Hamza © Stéphanie Macaigne

Deux Frères - PNL © Stéphanie Macaigne

Good Kid, m.A.A.d city - Kendrick Lamar © Stéphanie Macaigne

Interview par David Jacques Calvo


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